Les lumières sont rouges et roses, le grand escalier a été habillé de fleurs, les femmes en robes du soir posent devant les vasques, les buffets sont prêts pour l'entracte. Le petit rat court à sa place et s'installe tout excité pour cette belle soirée. Un peu déçu tout de même, il y a plein de gens qui n'ont pas joué le jeu de la tenue de soirée. De toutes façons l'essentiel se passe sur scène.
Le défilé... c'est tellement beau. Quinze minutes de bonheur, de simplicité et d'élégance. Dans les troupes j'aperçois Alice Renavand, Mathilde Froustey et Audric Bézard (je suis loin, je n'ai plus de jumelles, alors c'est déjà pas mal). Sur cette marche troyenne, défilent à présent les étoiles. Isabelle Ciaravolla, Dorothée Gilbert, et Agnès Letestu sont très applaudies. Côté hommes, il y a eu beaucoup de changements, alors les applaudissements pleuvent. Stéphane Bullion est acclamé, de même, voire plus, pour Karl Paquette. Mathias Heymann salue sous les bravos. L'émotion est palpable quand José Martinez s'avance qui profite du moment et marche avec l'élégance espagnole qui le caractérise. Le plus grand danseur de la compagnie et plus vieille étoile (les étoiles ne vieillissent pas, si?) qu'est Nicolas Le Riche est accueilli avec un sursaut de bravos et d'applaudissements. Ses deux gestes de bras referment le tableau, tout le monde se place et la magie est là. Tous les élèves de l'école, tous ces danseurs qui offrent une nouvelle fois cette photographie merveilleuse qui reste gravée pour un an en attendant l'année prochaine...
- Les 09 dernières secondes du défilé d'hier soir...
Comme vu à la répétition, nous avons eu le droit à une pièce supplémentaire, extraite de Proust ou les intermittences du coeur. "La regarder dormir" ou la réalité ennemie est ce passage où le narrateur fait d'Albertine sa prisonnière. Elle dort et il la regarde. Il l'aime mais ne peut la laisser partir, il veut la garder telle une poupée de chiffon qu'on regarde de temps à autre. Il la dirige dans sa danse et la fait disparaître sous un voile blanc. Proust est un des ballets de Roland Petit que j'affectionne le plus, je l'ai vu plusieurs fois et cet extrait est un des plus beaux (avec celui de Morel et St Loup). Le duo Eleonora Abbagnato et Benjamin Pech fonctionne à merveille. Quelques hésitations dans le premier tour de Benjamin Pech, sans doute dû au trac de la première, mais peu à peu, les lignes sont fluides, les portés sont superbes, tout est léger et harmonieux. Eleonora nous revient plus belle que jamais, et interprète une Albertine fragile et émouvante qui nous coupe le souffle jusqu'à la chute du voile. Regardez par vous même (je ne comprends toujours pas comment font les gens pour filmer... c'est interdit paraît il...)
Après un entracte au champagne et petits fours délicieux (le petit rat est gourmand...), la soirée reprend son cours et nous entrons dans le vif du sujet avec les trois ballets proposés pour ce programme. Ce sont des oeuvres de jeunesse, toutes avec un point commun très fort, la mort. C'est à chaque fois une rencontre, un destin tragique qui va tomber sur les personnages que Roland Petit met en scène. Oui Roland Petit met en scène. Cette nuit je me suis repenchée sur mes programmes de l'Opéra, et sur L'Avant Scène Ballet Danse consacrée à Roland Petit. En relisant l'article de Marcel Schneider "Sous le signe d'Orphée" j'ai retenu cette phrase "Petit est un véritable homme de théâtre : il a le sens du spectacle, de la danse théâtrale, de la poésie exprimée par les mouvements du corps humain quand viennent les arts associés de la musique et de la peinture." On pourrait aussi ajouter le cinéma car la vision de Petit sur la construction de ses chorégraphies est très cinématographique. Et ce n'est pas pour rien, si les auteurs du programme ont mis en titre pour Le Rendez-vous "Paris je t'aime". Le spectateur après la vision d'une peinture gigantesque de Picasso, héritage direct des Ballets russes, est plongé dans une scène de nuit, où les badauds errent et trainent, où des enfants rentrent de l'école, où des jeunes filles vendent des fleurs. Dans ce décor en carton pâte, apparaît un jeune homme (Nicolas Le Riche). Il se lie d'amitié avec un bossu jusqu'à ce que le destin le bouscule et liu confirme qu'il a un rendez vous avec la plus belle fille du monde (Isabelle Ciaravola). Le duo Le Riche/Ciaravola inédit à ma connaissance, ne m'a pas emballé. Je les ai trouvés chacun très bien dans leurs rôles respectifs, Le Riche en homme errant et séduit, Ciaravola en femme séductrice et manipulatrice, mais je ne suis pas convaincue de l'association des deux. J'avais préféré voir Le Riche avec Alice Renavand, et je verrai bien Ciaravola avec Benjamin Pech ou Jérémie Bélingard. Le ballet est tout de même très réussi et la tension monte au fur et à mesure de la danse endiablée entre le jeune homme et la plus belle fille du monde. Le dernier souffle du jeune homme, le bruit des talons de la fille qui le laisse dans son sang, laisse un parfum de tragédie dans la salle.
J'avais quelques réserves sur le deuxième ballet, Le loup. L'histoire ne m'emballait pas, les décors et les costumes non plus. Je n'avais pas alors bien regardé la danse. Chez Roland Petit, la danse vient après l'histoire, c'est par l'histoire que la danse se construit. Avec cette idée en tête, et plongée dans l'histoire, j'ai regardé Le Loup avec un tout autre regard. Là aussi c'est une véritable tragédie. La jeune mariée se fait tromper par un mari volage et la bohémienne lui met le loup entre les mains. Après son effroi, la belle apprend à aimer la bête et ne veut plus de son ancien mari. J'ai trouvé que ce ballet était une synthèse du travail de Roland Petit. Ballet narratif, qui s'appuie sur l'argument de Jean Anouilh et de Georges Neuveux, inspiré de vieux contes et légendes, il donne à voir une histoire d'amour impossible (Carmen, Clavigo, l'Arlésienne). Dans le langage chorégraphique, on retrouve des éléments proches de Notre Dame de Paris (danse de la bohémienne/Esmeralda), de Proust (scène d'amour entre le Loup et la jeune femme, dans les portés notamment), mais aussi de Clavigo, et de l'Arlésienne pour ce qui est des danses collectives. Tout est là dans ce ballet, tout le génie de Roland Petit est présent. Il a réussi m'emmener dans cet univers et à ressentir la même émotion tragique qu'au moment de la mort du jeune homme dans Le Rendez vous.
Le couple Stéphane Bullion/Emilie Cozette est merveilleux! Emilie Cozette que j'avais trouvé si mal à l'aise dans Bayadère et dans En Sol de Robbins est absolument parfaite ici. Elle est l'interprète parfaite, aimante et appeurée par l'animal, elle raconte l'histoire à merveille. C'est là aussi la grandeur de Roland Petit. Sa sévérité légendaire n'est plus à démontrer, et on sait qu'il n'est pas tendre avec les danseuses qu'il trouve mauvaises. On peut dire que là le choix est très bien fait et cette distribution m'a beaucoup plu. Stéphane Bullion continue son éventail de personnages sombres et complexes en interprétant le Loup. J'ai hâte de le voir ce soir pour avoir plus de précisions sur ce travail avec Roland Petit.
La soirée se termine par le plus beau ballet de Roland Petit,
Le jeune homme et la mort. Évidemment, on attend tous de voir Nicolas Le Riche, mais Roland Petit est un homme qui regarde vers l'avenir et qui n'hésite pas à confier ce rôle à d'autres interprètes (Le petit rat ira quand même voir Nicolas Le Riche danser
Le Jeune homme et la mort le 6 octobre). Ce soir nous avons donc vu le ténébreux Jérémie Bélingard avec Alice Renavand. C'était parfait. Leur interprétation était boulversante. Alice Renavand était géniale, son tempérament et son interprétation se sont mariés à la perfection avec ceux de Jérémie. C'est un jeune homme en proie à l'angoisse répétitive qu'interprète Jérémie. Ses pas sont rapides et tranchent l'espace. Il en est de même pour Alice qui est sulfureuse et sans pitié pour lui. Son langage est direct et sans détour. Elle s'impose dans l'espace et dans la chorégraphie avec une facilité déroutante. Le public a retenu son souffle jusqu'au dernier moment et au moment du salut, c'est un grand succès. Bravo à eux deux, car ouvrir la saison avec un ballet si difficile, avec toute la pression qu'il peut y avoir derrière, c'est un grand défi.
Tous les interprètes de la soirée reviennent sur scène avec leur maître. La salle est debout, Roland Petit sautille sur place comme un enfant. Le bonheur de la danse provoque décidément des joies immenses, même après toutes ces années.
Rol
Le site officiel de Roland Petit
La page de l'Opéra pour réserver et pour plus d'infos.
Les photos d'Agathe Poupeney sur Fédéphoto
Article du Monde L'Opéra de Paris fête l'éternelle jeunesse de Roland Petit
Dépêche du Monde Roland Petit et ses invités de rêve
Article du monde sur Le rituel du défilé
Article du Figaro L'impossible M.Petit
Article du Figaro Roland Petit années 50
- Distribution du 22 septembre 2010
Rendez-Vous (Le)
LA PLUS BELLE FILLE DU MONDE | Isabelle Ciaravola |
LE JEUNE HOMME | Nicolas Le Riche |
Loup (Le)
LA JEUNE FILLE | Emilie Cozette |
LE LOUP | Stéphane Bullion |
LA BOHEMIENNE | Amandine Albisson |
LE JEUNE HOMME | Josua Hoffalt |
Jeune Homme et la Mort (Le)
Le jeune Homme | Jérémie Belingard |
La Mort | Alice Renavand |
LE RENDEZ-VOUS
Joseph Kosma | Musique |
Roland Petit | Chorégraphie |
Jacques Prévert | Argument |
Pablo Picasso | Rideau de scène |
Brassaï | Décors |
Mayo | Costumes |
LE LOUP
Jean Anouilh et Georges Neveu | Argument |
Henri Dutilleux | Musique |
Roland Petit | Chorégraphie |
Carzou | Décors et costumes |
LE JEUNE HOMME ET LA MORT
Jean Cocteau | Argument |
Johann Sebastian Bach | Musique, Passacaille en do mineur |
Roland Petit | Chorégraphie |
Georges Wakhévitch | Décors |
Karinska | Costumes |
Vidéo du Jeune et la mort dans une autre version avec Noureev et Zizi Jeanmaire, quand la Russie et le cabaret se rencontrent
Envie de vous mettre cette petite vidéo de Jérémie Bélingard...